Accéder au contenu principal

Les promesses du kiosque


C'était un de ces matins où tout semblait figé, comme si le temps lui-même hésitait à se lever. La ville s'étirait lentement sous une lumière pâle, et moi, avec mon café tiède et mes chaussures mal lacées, je me tenais devant le kiosque à journaux du coin.

Les gros titres, comme toujours, faisaient la course à la catastrophe. "Crise énergétique : un hiver sous tension ?" clamait le premier journal. "La réforme qui divise encore et toujours", annonçait un autre, avec une photo du président qui semblait dire : "Oui, je sais, mais que voulez-vous ?"

Le kiosquier, un vieil homme avec des lunettes si épaisses qu’on aurait cru qu’il lisait dans une autre dimension, me regardait. 

— Alors, jeune homme, aujourd’hui c’est quoi ? Politique ou horoscope ? 

— Politique. L’horoscope, au moins, il donne encore un peu d’espoir, ai-je répondu en souriant.

Il a ri, mais pas trop, comme quelqu’un qui sait que l’humour est précieux, mais fragile. Je lui ai pris un journal, le plus neutre que je pouvais trouver. Enfin, "neutre", tout est relatif, n’est-ce pas ? Même les chiffres, parfois, ont une couleur politique.

En tournant les pages, je me suis arrêté sur un éditorial. "Où va la France ?" demandait l’auteur, comme si on avait oublié de répondre à cette question depuis trois siècles. L’article parlait des réformes, des contestations, des budgets serrés, et du fameux "manque de vision" qui semblait coller à tous les gouvernements, peu importe leur couleur.

Et là, je me suis souvenu d’un discours entendu la veille. Un jeune député, nouveau dans l’arène, parlait avec passion d’un projet pour "redonner du sens". Il avait les mains qui bougeaient beaucoup, les mots qui s’entrechoquaient, et cette étincelle dans les yeux qui disait : "Je vais changer les choses." Ça m’a fait sourire, un sourire mi-amusé, mi-mélancolique. Parce que combien de fois avons-nous entendu ça ? Et pourtant, ici je suis, devant ce kiosque, à me demander si cet hiver, il y aura assez de chauffage pour tout le monde.

Mais quelque chose dans sa voix m’était resté. Pas ce qu’il disait, mais comment il le disait. Comme s’il croyait encore qu’un bonbon pouvait réparer un accordéon. Et moi, malgré mon scepticisme, j’avais envie de le croire, ne serait-ce qu’un instant.

Le kiosquier m’a interrompu dans mes pensées. 

— Vous savez, ils parlent tous beaucoup, mais peu écoutent. Vous, vous écoutez ? 

— Je crois. Enfin, j’essaie. Mais c’est difficile quand on a l’impression que tout est déjà joué. 

Il a hoché la tête. 

— C’est vrai. Mais parfois, écouter, c’est déjà faire beaucoup.

Je suis reparti avec mon journal sous le bras, et cette phrase dans la tête. Peut-être que c’était ça, la vraie politique : écouter. Pas seulement les discours, mais les silences entre les mots, les regards fatigués des gens dans la rue, les mélodies perdues des accordéons fatigués.

Alors oui, je reste sceptique. Mais il y a des jours où je me dis que tout n’est peut-être pas perdu. Que dans ce chaos organisé, quelqu’un, quelque part, pourrait encore croire qu’on peut changer les choses. Et rien que ça, c’est déjà un début. 

Posts les plus consultés de ce blog

Ouvrir des écoles, fermer des prisons : l’héritage de Victor Hugo

I l suffit parfois d’une phrase pour embraser notre réflexion et nous rappeler l’essentiel : éduquer, c’est prévenir. Quand Victor Hugo lançait ce cri fulgurant, il ne soulignait pas seulement l’importance de l’instruction : il dessinait les contours d’une société plus juste, plus humaine. Aujourd’hui encore, cette parole résonne en écho dans nos esprits, comme un appel urgent à investir dans la connaissance plutôt que dans le châtiment. Nous vivons à une époque où la tentation du répressif est souvent présentée comme la solution la plus rapide et la plus visible. Enfants exclus du système scolaire, familles en difficulté, quartiers marginalisés : au lieu d’accompagner ces fragilités, nos gouvernements érigent des murs et verrouillent des portes. Pourtant, Hugo nous souffle que c’est là que réside toute l’erreur : en opposant l’école à la prison, il nous rappelle que la source des déviances sociales est avant tout une absence d’opportunités, un manque d’espoir. L’école ne se limite pas...

Résistance et dignité dans une société en crise

" On ne peut pas mener une vie correcte dans une société qui ne l'est pas. " Ces mots de Simone de Beauvoir résonnent comme une fatalité, une mise en garde, peut-être même une condamnation. Ils révèlent une vérité brutale : comment prétendre à l'intégrité, à la droiture, à l'espoir, lorsque le monde autour de nous chancelle sous le poids de ses propres contradictions ? Nous vivons une époque où l'ordre social semble ne tenir qu'à un fil, où la confiance en ceux qui dirigent s'effiloche chaque jour un peu plus. Gouverner n'est plus l'art de donner un cap, mais celui de gérer des crises, d'éteindre des incendies sans jamais questionner la structure qui les alimente. Le pouvoir s'exerce à travers le prisme de l'urgence et de la peur, sous couvert d'un pragmatisme qui n'est qu'une austérité déguisée. Chaque restriction, chaque réforme imposée au nom de l'équilibre budgétaire, rogne un peu plus l'idée même du bien com...

Quand le deuxième sexe enterre le patriarcat

A lors que le gouvernement gratte les économies sur le dos des services publics, un autre chantier, plus discret et plus pernicieux, s’ouvre dans l’ombre des discours officiels : celui de la redéfinition des frontières du désir, de l’appartenance et du pouvoir symbolique. La loi Duplomb ; évoquée aujourd’hui dans les cafés comme balise politique, demain comme repoussoir ; cristallise ces tensions. Peu importe son intitulé exact : elle devient prétexte et miroir, révélant ce que la nation préfère taire. J’écris cet article comme on gratte une allumette dans une pièce enfumée. Les silhouettes familières se dessinent : la radicalité écologique, qui oublie parfois que la sauvegarde du vivant exige la justice sociale ; la radicalité identitaire, qui érige des frontières sous couvert de protection ; le néoféminisme, qui interroge, bouscule et pousse aux ruptures nécessaires. Et tout autour, des vocables et des forces d'extrême droite, masculisme identitaire, mouvances incel - tissent une...