Il suffit parfois d’une phrase pour embraser notre réflexion et nous rappeler l’essentiel : éduquer, c’est prévenir. Quand Victor Hugo lançait ce cri fulgurant, il ne soulignait pas seulement l’importance de l’instruction : il dessinait les contours d’une société plus juste, plus humaine. Aujourd’hui encore, cette parole résonne en écho dans nos esprits, comme un appel urgent à investir dans la connaissance plutôt que dans le châtiment.
Nous vivons à une époque où la tentation du répressif est souvent présentée comme la solution la plus rapide et la plus visible. Enfants exclus du système scolaire, familles en difficulté, quartiers marginalisés : au lieu d’accompagner ces fragilités, nos gouvernements érigent des murs et verrouillent des portes. Pourtant, Hugo nous souffle que c’est là que réside toute l’erreur : en opposant l’école à la prison, il nous rappelle que la source des déviances sociales est avant tout une absence d’opportunités, un manque d’espoir.
L’école ne se limite pas à la transmission de savoirs factuels, elle est le creuset où se forge la confiance en soi, la curiosité intellectuelle et l’esprit critique. En ouvrant des classes pour tous, en valorisant l’apprentissage et en garantissant un environnement bienveillant, on s’attaque aux racines mêmes de la violence et de la délinquance. Un jeune qui sait lire, écrire, débattre et rêver à un avenir différent est bien moins enclin à céder aux sirènes du repli sur soi ou de la petite criminalité. Car l’éducation offre un horizon, elle donne des repères, elle construit les outils pour penser par soi-même.
Dans nos cités, les murs des établissements pénitentiaires s’élèvent tels des rappels flamboyants de notre défaite. À quoi sert de construire de nouvelles cellules si nous continuons à fermer les yeux sur les classes bondées, les enseignants sous-payés et les manuels scolaires désuets ? La prison, au fond, est le miroir déformant d’une école qui n’a pas su préserver chaque élève, qui n’a pas su déceler les talents même cachés derrière des difficultés.
Chaque porte qui se ferme sur un détenu est le symbole d’un échec : celui d’avoir laissé un individu glisser vers l’errance morale faute d’avoir trouvé sa place dans un système éducatif inclusif. Car la prison n’est pas seulement un lieu de punition, c’est aussi l’universelle réponse à une société qui ne reconnaît pas la valeur de l’accompagnement.
Deux siècles après la naissance de l’idéal républicain français, sommes-nous vraiment prêts à écouter Victor Hugo ? Ouvrir des écoles, ce n’est pas seulement bâtir des bâtiments. C’est repenser l’ensemble de nos dispositifs d’accueil : former des enseignants passionnés, dévoués, mettre en place des programmes qui éveillent l’esprit, créer des partenariats avec les entreprises pour l’apprentissage, encourager la mixité sociale et culturelle. C’est offrir à chaque enfant, à chaque adulte en reprise d’étude, la possibilité de trouver un sens à ses efforts, le goût d’apprendre et l’assurance qu’un avenir meilleur peut naître de quelques pages lues à la lumière d’une lampe.
Imaginez un instant : des écoles ouvertes tard le soir, proposant des ateliers de théâtre, des cours de numérique, des discussions philosophiques sur la place de l’individu dans la cité. Des bibliothèques de quartier devenues des îlots de savoir où l’on échange, débat, questionne. Chaque rue abritant un lieu d’apprentissage informel, chaque café un échange sur la littérature ou l’histoire. Voilà le remède ultime aux cellules froides et bétonnées : des lieux vivants, chaleureux, où l’on apprend à penser, à se respecter et à respecter l’autre.
Bien sûr, la responsabilité première incombe aux pouvoirs publics : redéployer des budgets, réformer un système encroûté, valoriser le métier professeur. Mais l’éducation est l’affaire de tous. Parents, bénévoles associatifs, citoyens engagés, entreprises : nous pouvons contribuer. Par le parrainage scolaire, par des ateliers de soutien, par le mécénat culturel. En offrant notre temps, nos compétences et notre écoute. Chaque initiative locale est une brique qui consolide le mur de la prévention. Chaque sourire offert à un élève en décrochage est une main tendue loin des barreaux.
En refermant ce billet, je n’ignore pas la difficulté des réformes, l’ampleur des résistances politiques et financières. Mais je choisis de croire que "ouvrir des écoles" n’est pas un vœu pieux, pas un slogan creux, mais un vrai pari sur l’humanité. Car quand l’éducation gagne du terrain, la prison recule : moins d’enfants à la rue, moins de dérives, moins de détours par le tribunal. Chaque heure passée à enseigner est une heure volée à l’obscurité de la misère et de la violence.
Alors, prenons ce propos de Victor Hugo comme un défi. Pour bâtir des ponts plutôt que d’ériger des murs. Pour donner à chacun la chance de découvrir son potentiel et d’apporter sa pierre à l’édifice social. Ouvrons des écoles, et, un jour, il ne restera plus que des portes ouvertes sur la connaissance, la culture et la liberté.
