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Une cité inachevée

    C’était une cité foisonnante, un kaléidoscope d’âmes et d’esprits, où chaque pierre semblait dominer un récit oublié. Penseurs, inventeurs et pères de nations tenaient un fragile équilibre : ils se passaient le sceptre de la vision comme on se transmet une flamme vive, consciente qu’elle peut tant éclairer que consumer. Dans les rues pavées, la rumeur du peuple, poème en marche, osait une légèreté subtile : un chant à peine audible, un murmure d’espérance, ténu comme un fil d’or sur la trame du quotidien.

    Aux carrefours de la cité, les voix se mêlaient en arabesques inattendues. Un sage méditait sur un banc d’ardoise, la barbe grisonnante, tandis qu’un artisan, marteau en main, façonnait la mémoire révolue d’une civilisation. Là, derrière les façades ornées d’inscriptions étranges, se recueillaient les utopies anciennes, bercées par l’idée que l’homme pouvait, un jour, habiter son temps sans le trahir.

    Pourtant, sous l’ombre des colonnes majestueuses, un léger vertige s’immisçait. Le pouvoir, même partagé, porte en lui le poison de la division : chacun, dans sa solitude, cherchait à redéfinir l’harmonie collective. Les débats, tour à tour passionnés et évanescents, ressemblaient à ces vagues capricieuses qui creusent la roche au fil des ans. L’harmonie était une œuvre toujours inachevée, une fresque mouvante.

    Ni utopie figée, ni dystopie imminente, cette cité tenait sur un équilibre instable, nourri de paradoxes. Les cris de joie pouvaient se transformer en échos de désespoir ; une idée lumineuse pressait souvent les ombres de son propre revers. Quels étaient donc ces murmures du destin, si ce n’étaient les interrogations silencieuses d’un peuple en quête de sens ?

    Un soir, les lanternes vacillèrent sous un vent tiède chargé d’embruns d’humanité. On surprit au loin, derrière un rideau de jasmin, les lueurs d’un débat secret : l’assemblée des rêveurs venait de conclure qu’il fallait apprendre à se taire pour mieux écouter l’invisible. L’histoire, disaient-ils, ne se révèle pas dans les grondements, mais dans le souffle discret des possibles.

    Alors, dans ce monde en perpétuelle recomposition, le seul acte véritable fut peut-être de formuler l’inachevé, d'accepter que la cité ne fût jamais tout à fait achevée, que la liberté se construisît dans l’interstice, là où chaque voix, fragile et unique, trouve son écho.

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