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Ve République : une démocratie fissurée

La démocratie française, dans ces derniers mois, a traversé une zone de turbulence qui a profondément ébranlé la confiance citoyenne. Tout a semblé s’accélérer en 2024, lorsque la dissolution de l’Assemblée nationale, décidée par Emmanuel Macron, a ouvert la voie à des élections anticipées. Le résultat de ces législatives a vu une coalition de gauche l’emporter sans pour autant obtenir la majorité absolue. Ce qui aurait pu être un moment de clarification politique s’est transformé en une source de tensions nouvelles : l’arrivée d’un gouvernement mené par François Bayrou, soutenu par le président, a été perçue par beaucoup comme une décision en décalage avec le choix exprimé dans les urnes. Très vite, les voix de l’opposition se sont élevées pour dénoncer un « déni de démocratie ».

Le recours, en octobre, à l’article 49.3 pour faire adopter le budget 2025 a achevé d’alimenter ce malaise. Les critiques furent vives, jusqu’au sein même de l’hémicycle. Charles de Courson, figure respectée du centre droit, a exprimé à haute voix ce que beaucoup pensaient tout bas : « l’utilisation du 49.3, c’est la démonstration que notre démocratie ne fonctionne pas bien ». Dans ce climat électrique, les motions de censure se sont enchaînées, tout en laissant planer un sentiment d’impuissance générale.

Dans les rues, ce désenchantement s’est traduit par des mobilisations. À Paris, Marseille et dans d’autres grandes villes, des milliers de citoyens ont défilé en septembre pour protester contre un pouvoir jugé sourd au vote populaire. Plus tard, en avril 2025, ce sont les attaques contre l’État de droit, venant de responsables d’extrême droite après des condamnations judiciaires, qui ont poussé syndicats et associations à organiser quarante rassemblements. Le mot « démocratie » s’écrivait sur les banderoles comme pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’un acquis mais d’une vigilance constante. Pourtant, malgré ces mobilisations, la participation restait limitée, comme si une partie de la population avait déjà renoncé à se faire entendre.

Les enquêtes d’opinion viennent confirmer ce sentiment diffus : plus de la moitié des Français se disent désormais insatisfaits du fonctionnement de leur démocratie, et près des trois quarts estiment qu’elle s’est détériorée au cours des cinq dernières années. La confiance envers les institutions s’effrite, au point que seuls 26 % font encore confiance au président, 22 % aux députés et à peine 14 % aux partis politiques. Derrière ces chiffres, il y a une lassitude, mais aussi un espoir de changement. En témoignent les 58 000 signatures recueillies par une pétition réclamant la convocation d’une assemblée constituante, ou encore les sondages révélant qu’une majorité des citoyens serait favorable à l’écriture d’une nouvelle Constitution.

Dans ce contexte de défiance, le débat sur la liberté d’expression a pris une dimension particulière. Les Français se disent très attachés à ce principe fondamental, à 95 %, mais lorsqu’il s’agit de tolérer les propos qui heurtent, qui choquent, qui dérangent, l’indice chute. La France se retrouve au milieu du classement mondial, partagée entre l’affirmation de grands principes et la difficulté à les appliquer dans le réel. Les réseaux sociaux exacerbent ces contradictions, transformant parfois le débat public en une succession de polémiques et d’invectives. Pourtant, sur les places, dans les manifestations, des voix continuent de s’élever pour défendre la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, et rappeler que ces piliers ne sont jamais à l’abri d’une fragilisation.

Face à ces tensions, certaines initiatives ont tenté de raviver le lien démocratique. Les conventions citoyennes, expérimentées depuis plusieurs années, continuent de se multiplier. Après celles sur le climat et la fin de vie, une troisième a été lancée en 2025 sur le thème du rythme de vie des enfants, réunissant 130 citoyens tirés au sort pour débattre et formuler des propositions. Le CESE s’est affirmé comme un acteur central de cette démocratie participative, intégrant de plus en plus de citoyens dans ses commissions. À l’échelle locale, les budgets participatifs et les conseils citoyens se multiplient, dessinant les contours d’une démocratie plus directe, plus vivante, même si leur impact reste encore limité face aux grandes décisions nationales.

Et pendant que ces expériences tentent de redonner un souffle au débat public, les critiques contre le système actuel demeurent fortes. L’usage répété de mécanismes comme le 49.3, l’impression que la volonté populaire est ignorée, ou encore l’opacité de certaines décisions alimentent l’idée que la Ve République est en fin de cycle. Les appels à une VIe République se font entendre, parfois avec force, parfois avec discrétion, mais toujours avec l’idée que quelque chose doit changer. Beaucoup expriment le désir d’un renouveau institutionnel, d’une démocratie qui écoute davantage, qui associe, qui partage. Ce qui se joue aujourd’hui en France, c’est moins une crise ponctuelle qu’un basculement silencieux, où l’on sent que les règles du jeu politique pourraient, un jour, être réécrites.

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