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Et les efforts deviennent à sens unique... La prescription Bayrou : avalez, ça passe !

En attendant que l’embrasement mondial fasse son entrée, que la famine achève son œuvre à Gaza City et que l’Ukraine se découpe au gré des ambitions russes et américaines, la France ajuste ses comptes comme on taille un tissu déjà usé. Le geste est sec, méthodique, presque chirurgical. François Bayrou, Premier ministre, avance son plan budgétaire comme on présente un antidote, alors que l’odeur de poudre flotte dans l’air.
    On nous parle d’économies comme de sacrifices vertueux. Les jours fériés sont effacés d’un trait, comme un simple décalage de calendrier. Les salaires et pensions sont figés, nommés « pauses » au nom du bien commun. Mais derrière ces chiffres glacés, se cache une réécriture des priorités : une nation sommée d’adopter une posture d’effort constant, où la solidarité devient mécanique et la dignité un ajustement comptable.
    Ce plan, censé stopper l’hémorragie de la dette, ouvre en réalité un autre front : celui du droit au repos, du temps de vivre, et de la valeur accordée au travail. Supprimer des jours fériés au nom de la production n’est pas une simple mesure technique, c’est un message : celui d’un horizon collectif rétréci, obnubilé par le trou budgétaire, dont l’origine s’évapore dans les méandres du discours.
    Tandis que les services publics sont rognés, c’est une redéfinition sourde qui s’opère : celle du rapport au temps, à la production et à la participation citoyenne. On efface, on gèle, on retarde, puis on emballe le tout sous un slogan martial : « en avant la production ». Derrière l'affichage, la mécanique est limpide : le citoyen devient un rouage, une variable dans une logique budgétaire qui refuse de s’interroger sur ses propres échecs, ses choix fiscaux passés, ses abandons industriels.
    Ce n’est pas qu’une affaire de chiffres, c’est un récit : celui d’une dette érigée en vérité absolue, devant laquelle tout doit plier. Les plus fragiles versent leur obole pendant que d’autres aménagent leurs sacrifices. Le geste politique, présenté comme courageux, ressemble à ces travaux publics qui creusent un trou pour en boucher un autre.
    Allonger la durée du travail sans contrepartie n’a rien d’enthousiasmant. Produire, oui, mais produire quoi, pour qui, et à quel prix ? Dans cette équation, le repos devient un luxe, la solidarité une ligne compressible. La dette sert d’épouvantail pour esquiver les vraies questions : quel modèle fiscal ? Quelle redistribution ? Quelle place pour l’investissement social ?
    Le citoyen, d’abord spectateur, devient figurant réquisitionné. Mais l’économie ne se résume pas à équilibrer des comptes. Elle est affaire de sens. Gouverner, ce n’est pas gérer un tableur Excel. Si l’on retire au présent ses respirations, si l’on grignote les jours communs, si la solidarité devient injonction sèche, on façonne une nation à bout de souffle. Et une nation fatiguée devient une nation docile.
    À force de répéter que la rigueur est une évidence, on oublie que d’autres chemins sont possibles : revoir la fiscalité, interroger les priorités, investir dans l’humain plutôt que dans les coupes. Le courage politique ne consiste pas à exiger plus de ceux qui ont le moins, mais à remettre en cause les privilèges de ceux qui ont le plus.
    Refuser cette vision, ce n’est pas fuir l’effort collectif. C’est affirmer qu’il doit être juste, proportionné, porteur d’avenir. Sinon, « en avant la production » n’est qu’un vernis qui craquèle, et derrière : c’est l’austérité qui prend le pouvoir.

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