Le pouvoir n’est-il qu’un artifice, un jeu d’ombres projeté sur les parois du réel ? Depuis l’aube des civilisations, il s’exerce, se transmet, se transforme, mais son essence demeure inchangée : il ne survit qu’en maîtrisant l’apparence. Gouverner, ce n’est pas tant administrer que composer avec l’illusion du contrôle, orchestrer des discours comme un bateleur ajuste ses tours pour distraire la foule.
À chaque époque son rituel : aujourd’hui, le gouvernement s’enveloppe d’une rhétorique de nécessité, justifiant l’autorité par l’urgence, brandissant la loi non plus comme un pacte, mais comme un glaive. Voici donc, une fois encore, cette parade de décisions imposées, cette mise en scène où l’article 49.3 se dresse tel un spectre sur l’Assemblée nationale, ultime recours lorsque la persuasion se heurte au mur du doute. Ce n’est plus la politique qui se fait, mais l’administration de la contrainte. L’opposition fulmine, s’offusque, s’érige en rempart du peuple avant de se fondre dans le même théâtre d’ombres. L’indignation, ici, n’est qu’un rôle de plus, une posture apprise.
Mais loin des tribunes et des décrets, que devient ce peuple qu’on invoque à chaque discours, ce peuple dont on parle plus qu’on ne l’écoute ? Il y a cette jeunesse silencieuse, reléguée aux marges, observant le futur comme on contemple un sentier effondré. Il y a ces travailleurs dont les journées s’étirent sous la lumière artificielle d’un hôpital exsangue ou d’un entrepôt sans âme. Et il y a ces visages oubliés, ces solitudes invisibles, que l’on ne mentionne qu’en statistiques ou en slogans vides. On disserte sur l’équilibre budgétaire tandis que certains comptent les heures avant la coupure de courant, la fermeture définitive, l’expropriation froide d’une existence.
Pendant ce temps, la grande marche du temps poursuit son œuvre implacable. Le vieillissement de la population s’étend comme une marée inexorable, creusant un fossé entre générations, bousculant un modèle social bâti sur des équilibres qui vacillent. Nous parlons du présent comme s’il était immuable, refusant d’admettre que chaque choix d’aujourd’hui façonne le destin de demain. Quelle nation veut-on transmettre ? Une société figée dans la peur du changement, ou un monde où le progrès se conjugue avec la justice et la mémoire ?
Les puissants croient gouverner, mais ce sont les nécessités du siècle qui gouvernent à leur place. Comme jadis les rois prétendaient détenir un droit divin, nos modernes dirigeants se drapent dans les oripeaux de la rationalité, de l’économie, du pragmatisme froid. Mais l’histoire nous apprend que toute stabilité n’est qu’un répit, que sous les certitudes d’un ordre établi couve toujours la tempête.
Ce siècle n’a pas encore trouvé sa voix. L’écho de ses combats se perd dans les arènes médiatiques, dans la cacophonie des commentaires et des polémiques stériles. Mais viendra l’heure où l’on demandera des comptes, où l’on pèsera ce que fut réellement cet art de gouverner. Et peut-être, alors, découvrira-t-on qu’il ne fut qu’un fragile échafaudage, un songe d’autorité se dissipant dans la lumière crue du réveil.
